Dans les greffes fruitières traditionnelles, on choisit les greffons pour leur capacité à produire de belles branches. Pour cela, on privilégie les bourgeons dits ‘à bois’, que l’on trouve de préférence sur le bois de l’année. Sur ce point, le consensus reste large.

Cependant, dans le monde de la greffe, d’autres recommandations circulent, notamment le choix du moment selon le calendrier lunaire, censé optimiser l’état de la sève. Il s’agit là d’une croyance sans fondement scientifique rigoureux. D’autres suggestions concernent le positionnement du bourgeon dans l’arbre ou encore l’angle de pousse du rameau sélectionné. Ainsi, selon certaines croyances, le choix du greffon dans l’arbre devrait se faire en fonction de l’arbre que l’on souhaite obtenir.
Le cas des gourmands

Une idée largement répandue dans le monde de la greffe est d’éviter les rameaux vigoureux et verticaux, appelés ‘gourmands’, jugés inadaptés. L’argument avancé est que les arbres issus de tels greffons développeraient un port trop érigé, difficile à former et à exploiter pour la récolte. Lors du choix du greffon, il est donc plutôt conseillé de privilégier de jolis rameaux ayant poussé à un angle d’environ 45°.
Ce débat ne date pas d’hier, mais il a été clairement tranché par la science il y a plus d’un siècle. En effet, les travaux de Charles S. Crandall, de l’Université de l’Illinois, publiés en juin 1918, apportent des éléments de réponse solides et bien documentés.
Dans cette étude, les chercheurs ont comparé la croissance d’arbres greffés à partir de différents types de bourgeons :
– prélevés à divers emplacements dans l’arbre (ce qui nous intéresse ici pour évaluer la pertinence ou non des gourmands),
– positionnés à différents endroits sur le rameau,
– et de tailles variées, petits ou gros
(ces deux dernières variables seront traitées en fin d’article).
Une étude de grande ampleur
Entre 1908 et 1915, plusieurs milliers d’arbres ont été greffés et suivis afin de répondre à ces questions. L’expérience portant sur le choix du greffon en fonction du placement des rameaux de l’année dans l’arbre (ex: les gourmands, les rameaux extérieurs, les rameaux intérieurs…) a été menée pendant cinq années, sur cinq variétés différentes. Au total, près de 450 arbres ont été observés jusqu’à la fin du protocole (hors pertes).
Chaque année, la hauteur et la largeur des arbres ont été mesurées, et tous ont été conduits de manière homogène.
Résultats : aucun effet significatif
Les résultats montrent qu’aucune différence significative n’a été observée entre les arbres issus de bourgeons prélevés à divers emplacements dans l’arbre. Dans certaines séries, les bourgeons de gourmands donnaient des arbres à peine plus chétifs que la moyenne ; dans d’autres, ils figuraient parmi les plus vigoureux. Dans tous les cas, les variations restaient dans les marges statistiques normales.



Cela démontre que le caractère vigoureux d’un rameau ne se transmet pas à l’arbre greffé.
Réhabilitons les gourmands : des greffons sous-estimés
Maintenant que l’on sait que la vigueur des gourmands ne se perpétue pas dans le temps après la greffe, il est temps de redorer le blason de ces rameaux trop souvent délaissés et de mettre en avant leurs atouts en tant que source de greffons.
Tout d’abord, les gourmands sont généralement éliminés lors de la taille des arbres fruitiers, leur prélèvement ne porte donc pas préjudice à la structure ni à la productivité de l’arbre d’origine.
Ensuite, leur port droit facilite grandement la découpe des greffons, en assurant des segments réguliers et faciles à manipuler.
Par ailleurs, la longueur importante de ces rameaux permet de les manipuler aisément et optimise l’espace en jauge :
un simple fagot de 10 gourmands peut contenir plus de 300 bourgeons, tout en occupant le même volume qu’un fagot de rameaux plus classiques, qui portera lui une centaine de bourgeons au maximum.
Enfin, l’espacement plus large entre les nœuds permet une découpe plus efficace, avec moins de pertes de bourgeons lors de la confection des greffons.
Autres hypothèses testées
Nous avons désormais tiré des conclusions claires concernant l’utilisation des gourmands comme greffons. Profitons-en pour explorer les deux autres volets de l’étude, qui abordent respectivement l’influence de la position du bourgeon sur le rameau et celle de sa taille.

Concernant la taille du bourgeon, les auteurs concluent :
In general it would seem that plumpness and healthy appearance of the scion shoot should offer a better basis upon which to judge value for purposes of propagation than does size of buds.
Traduction :
De manière générale, la turgescence et l’aspect sanitaire du greffon constituent des indicateurs plus fiables de sa valeur pour la propagation que la seule dimension des bourgeons.
Pour le choix du bourgeon sur un même rameau, la conclusion est la suivante :

The lines are so nearly coincident and indicate such slight departures from absolute uniformity that there remains no basis for any assumed differences in value of the buds tested.
Traduction :
Les courbes sont presque confondues et indiquent des écarts si minimes par rapport à une uniformité absolue qu’il ne reste aucun fondement pour supposer une quelconque différence de valeur entre les bourgeons testés.
Conclusion
Ici, je vais faire simple et laisser la parole à l’auteur de l’étude :
As large and as well-formed trees were grown from small buds as from large. Central terminal buds exhibited no advantages over extreme lateral buds, or over buds from interior branches, or even over buds from water sprouts. The same results prevailed with reference to location on the shoot: buds from near the base, from central, and from terminal locations gave equally good trees.
Traduction :
Des arbres de grande taille, vigoureux et bien conformés ont été obtenus aussi bien à partir de petits bourgeons que de bourgeons plus développés. Aucune supériorité n’a été observée chez les bourgeons terminaux centraux par rapport aux bourgeons latéraux extrêmes, à ceux issus de branches internes, ni même à ceux prélevés sur des gourmands. De manière similaire, la position du bourgeon sur le rameau — qu’il soit situé à la base, au centre ou à l’extrémité — n’a eu aucune influence notable sur la qualité des arbres obtenus.
Cet article fait partie du projet Les Fruits de la Résilience. Si vous ne connaissez pas encore cette initiative novatrice, découvrez son ambition en suivant ce lien : Les Fruits de la Résilience.